Le vol QR1481 à destination de Dar Es Salam est prêt pour l’embarquement
En général, la plupart de mes voyages d’achat se déroulent en Asie, car les plus beaux spinelles et saphirs s’y trouvent. Mais le continent africain regorge littéralement de pierres de couleurs, particulièrement dans sa partie Est. Et parmi les pays riches en gemmes, l’un a une place particulière dans mon cœur : la Tanzanie. C’est donc avec une excitation particulière que j’embarque ce matin de février sur un vol à destination de Dar Es Salam, sa capitale.
Les tanzaniens sont assis sur un trésor
Saviez vous que la Tanzanie possède un sous-sol aussi riche en gemmes que l’est son métissage culturel arabo-africain? Du Nord au Sud se succèdent des sites miniers : la région de Merelani pour la tanzanite, la vallée d’Umba, Winza et ses rubis, Mahenge et ses spinelles, Songea… Et la quasi-totalité du pays est parsemé de mines d’or. Bref, c’est un régal pour le chasseur de trésors ! Sur le billet de 5000 shillings, la monnaie locale, figure d’ailleurs un spécimen brut de tanzanite ainsi que des pierres taillées…et la girafe, l’animal emblème du pays.
Bien fatigué, me voici à l’aéroport de Dar. J’ai la chance d’avoir un ami sur place, qui à chaque fois gère à merveille la logistique de mon séjour. C’est un véritable luxe de ne pas à avoir à me préoccuper de comment me conduire à bon port ! Après les retrouvailles, la première journée est occupée à faire un tour rapide des bureaux de vente locaux, et préparer la suite de l’expédition.
Direction Arusha!
Dans le nord du pays, au pied du Kilimandjaro, se tient la ville endormie d’Arusha. C’est une agréable bourgade de 500 000 habitants située en territoire Massaï, bordée par des collines, des plantations de café et de superbes forêts. Elle est célèbre entre autres pour abriter le siège du tribunal pénal international pour le Rwanda. Elle est également aux portes des trésors des parcs naturels du nord, tels le mythique Serengeti ou le cratère du Ngorongoro. J’ai eu quelques mois auparavant la chance immense de visiter ces lieux totalement rendus à la vie sauvage car désertés des touristes pour cause de Covid.
Arusha est également un haut lieu de production et de négoce des pierres fines et précieuses de l’Afrique de l’Est : elle est proche des mines de Merelani d’où proviennent la tanzanite et autres variétés comme la tsavorite. Par conséquent, de nombreux comptoirs de vente et centres de taille s’y sont installés: ils drainent la production minière provenant de toute la Tanzanie, mais aussi du Kenya voisin et du Mozambique.
Accéder à Merelani, un parcours du combattant
La tanzanite, cette pierre précieuse bleue unique au monde découverte par un berger massaï puis popularisée par la maison de haute joaillerie New-Yorkaise Tiffany&Co dans les années 1960, est retrouvée à ce jour exclusivement à Merelani. Les mines sont la propriété du gouvernement tanzanien qui loue des allocations d’exploitation aux mineurs. Depuis quelques années, l’Etat souhaite contrôler parfaitement la production, et a renforcé son emprise sur les mines. Un mur d’enceinte a été construit tout autour du site, parsemé de caméras, et l’ensemble du site minier est protégé par l’armée, telle une forteresse.
Sans mon ami et partenaire local, implanté dans le pays depuis des décennies, il aurait été rigoureusement impossible de pénétrer cet endroit. Notre parcours d’autorisation démarre dans le bureau du patron du comité des mineurs d’Arusha, un imposant homme charismatique d’une soixantaine d’année au physique d’armoire à glace, auprès de qui je tente à la fois de ne pas paraitre impressionné tout en restant humble et respectueux.
Une fois son sésame obtenu, et quelques coups de téléphone échangés, nous prenons la route direction la ville de Merelani, où nous sommes attendus par le bureau des douanes. Ou l’armée, ou la police, je ne sais plus, mais en tout cas des hommes en uniforme chez qui il faut palabrer poliment. Il y aura en tout 2 arrêts de ce genre pendant nos 45 minutes de route, avec à chaque fois des coups de fil en swahili à d’autres responsables, que je fais mine de comprendre en souriant bêtement, et des papiers à tamponner. Bien entendu, je n’ai pas le droit de prendre des photos de ces sympathiques épisodes administratifs (hélas).
A l’intérieur de la forteresse
Nous voici à la porte ! Impressionnant parking rempli de voitures des mineurs et aussi d’une quantité incroyable de petites motos, seul moyen de transport autorisé à l’intérieur en dehors des véhicules militaires. L’armée filtre chaque entrée, et nos têtes de blancs-becs dénotent évidemment dans la foule locale. Je pensais que le passage de la porte signerait la fin des formalités, mais que nenni. Nous voici maintenant au Main Office, à l’intérieur de l’enceinte. Je serre de nombreuses mains qu’il m’est demandé de serrer en souriant, et j’attends. Il doit faire 50 degrés, le soleil du matin tape fort. Le temps est long…
porte d’accès zone minière de merelanie tanzanie une partie du parking
Au bout d’une heure et demi, le signal du départ est donné. Enfin, je m’attends à ce que ce soit le signal du départ vers le prochain bureau de contrôle… mais non cette fois nous regagnons la voiture accompagnés de….5 personnes. J’apprendrai par la suite que nous étions escortés par : la police, l’armée, les autorités minières ET les services secrets tanzaniens. Je ne risque pas d’avaler un caillou par erreur, bonjour l’ambiance !
“La tanzanite, cette pierre précieuse bleue unique au monde découverte par un berger massaï puis popularisée par la maison de haute joaillerie New-Yorkaise Tiffany&Co dans les années 1960, est retrouvée à ce jour exclusivement à Merelani.”
Mathieu
Un dédale de concessions bien cachées
La zône minière de Merelani, elle-même entourée d’une enceinte, est une vaste étendue de plusieurs hectares vallonnés. On y chemine en moto sur des routes caillouteuses qui serpentent entre les concessions. Celles-ci sont délimitées par de hauts murs de tôle brute et appartiennent aux entreprises qui les exploitent. A Merelani, on extrait bien entendu la mythique tanzanite, mais aussi de superbes variétés de grenats tels la tsavorite verte, que nous adorons.
Découvrez nos gemmesDans chaque petit fortin de tôle, on retrouve un écosystème particulier : des baraquements dédiés à la vie des mineurs et les gardiens (quelques lits de camp, une cuisine, un lieu de stockage pour les vivres), un hangar abritant compresseurs, groupes électrogènes, treuils, pompes, et tout autour des tas de roches, qui sembleraient être de simples amoncellement de cailloux mais correspondent en fait aux résidus d’extraction qui seront ensuite à nouveau triés et fragmentés. Si ce n’était la présence du hangar dédié au stockage des explosifs, cadenassé et peinturluré de têtes de mort, le lieu évoquerait davantage un mélange entre une ferme et un camp de brousse.
C’est l’heure d’enfiler son casque
C’est au moment de la pause déjeuner, alors que les mineurs sont regroupés autour de la cantinière, que nos guides nous proposent de descendre dans un des tunnels de mine. Ces tunnels sont creusés de manière à y cheminer à pied sans utiliser d’échelle ou d’engin, et de progresser en pente douce dans les profondeurs du sous-sol. Mais le but premier est de suivre la veine gemmifère, que l’expert géologue de la mine piste en trouvant certaines roches qui indiquent la présence possible de pierres gemmes. Il faut souhaiter alors que la veine ne progresse pas verticalement !
Au fond du conduit, la roche est fragmentée avec de l’eau sous pression, puis les blocs sont évacués à la surface. Ensuite seront triés ceux qui sont susceptibles de contenir des gemmes, et seront alors cassés prudemment à la main.
A notre sortie du tunnel, plus personne…les mineurs ont disparu. En fait, ils se sont isolés dans une partie du campement, où le chef d’équipe fait l’état des lieux de la production du matin. On peut entendre des clameurs, visiblement aujourd’hui la recherche a été fructueuse !
Nous visitons encore quelques concessions, relativement semblables. Certaines semblent à l’abandon. En fait, l’exploitation minière coute très cher : les sociétés minières sont souvent obligées de se focaliser sur seul filon productif, et attendent la grosse prise qui dégagera suffisamment de trésorerie pour reprendre la prospection sur leurs autres concessions.
Retrouver la douceur d’Arusha
Cette journée passionnante de visite prend fin. Il est temps de retourner à Arusha où pendant quelques jours nous ferons le tour des marchands de bruts afin de dénicher de belles gemmes à faire tailler. C’est également l’occasion de nous régaler du traditionnel repas de grillade de chèvre, omelette, fruits frits et ugali, une polenta de farine de maïs que l’on roule entre les doigts avant de la tremper dans une sauce pimentée. Le toubab que je suis s’en fout partout, mais c’est un régal!
Par la suite, nous poursuivrons notre périple en Tanzanie à la découverte des sites miniers du pays. La suite au prochain épisode de ce blog …