Mars 2020: tout semblait pourtant se dérouler comme prévu
Pour les chasseurs de pierres, Bangkok est un endroit clé, un passage incontournable. Certes en Thailande les mines de Kanchanaburi sont quasi épuisées, et l’on ne vient plus pour trouver des bruts sortis de terre. Mais Bangkok est la Mecque du commerce mondial des pierres de couleurs. Approvisionnée par les négociants du monde entier, elle abrite les plus grands marchands, les lapidaires, expéditeurs, laboratoires de gemmologie, brokeurs et autres intermédiaires qui font vivre cette activité.
La réputation s’est construite au fil des décennies, d’abord par proximité géographique : l’activité minière au Nord de la Thailande était encore intense jusque dans les années 2000, puis la proximité géographique avec le Myanmar, ont développé des canaux d’approvisionnement en rubis et saphirs, puis c’est toute la chaine qui s’est mise en place. L’aéroport de Bangkok étant l’un des plus important hub aérien d’Asie, l’essentiel des pierres de couleurs extraites dans le monde se sont mises à transiter par la Thailande.
De nos jours, Bankok abrite des grattes-ciel entiers de marchands de pierre, de petits comptoirs de pierres semi précieuses de mauvaise qualité aux plus grands négociants du monde qui fournissent la Place Vendôme. Dans le quartier des pierres, on retrouve également des succursales des plus grands laboratoires, ainsi que les principales écoles de gemmologie. On y trouve aussi des lapidaires, même si une partie des ateliers de taille se situent dans la province de Chantaburi, dans le nord du pays. Une foire internationale de gemmes et bijoux s’y tient également plusieurs fois par an.
Bref, je me dois d’aller à Bangkok plusieurs fois par an, généralement à la fin de mes voyages d’achat. Ce passage me permet de faire retailler certain de mes achats, trouver des matières que je n’ai pas pu dénicher dans les pays producteurs, et faire certifier mes pierres. Je prends aussi la température du marché, car ce sont dans de tels endroits que se font et défont les cotes, les prix, les tendances.
Passage obligé donc. Mais là on est en 2020, et en 2020, rien ne se passe comme prévu. Je sens le vent gronder : mon séjour au Vietnam vient d’être annulé à la dernière minute pour cause de virus émergent…annulation de tous les vols et interdiction de visa d’emblée, le gouvernement vietnamien tape fort.
Atterrissage à l’aéroport principal de Bangkok : Suwarnabhumi, 8h du matin
Mon escale à Bangkok est maintenue : je débarque au matin à l’aéroport international Suwarnabhumi, dans un avion plein à craquer… allez comprendre. Les formalités s’effectuent comme d’habitude, en quelques minutes. Il n’est pas encore question de coronavirus ici. Pourtant une fois en ville, je pressens que l’ambiance n’est pas la même. Des distributeurs de solutions hydro-alcooliques sont partout, à l’entrée de chaque immeuble, de chaque magasin. Le contrôle de température est également généralisé dans tous les lieux clos. Dans la rue les gens sont masqués bien entendu… mais en Thailande, et particulièrement à Bangkok, c’est une situation bien habituelle de voir un masque sur les visages !
toujours autant d’embouteillages! superbe vue de la Chao Praya
Jour 2. 7h.30 : me voici sur pied !
Ne sachant pas trop comment le vent va tourner, il faut que je me mette rapidement au travail. Les rendez-vous s’enchainent à un rythme effreiné, je dois faire le tour rapidement de tous mes fournisseurs habituels pour voir la production des mois précédents.
Après les rendez-vous, le travail n’est pas fini! Sélection de tourmalines exceptionnelles chez un grand marchand
Ces entretiens sont des exercices relationnels parfois périlleux, surtout lorsqu’il s’agit des plus importants marchands de la planète, qui vous font parfois ressentir que le fait de vous recevoir et de vous vendre une pierre est une faveur qui vous est faite.
Avant d’accéder aux bureaux prestigieux souvent situés aux étages supérieurs des gratte-ciel du quartier des gemmes, il faut montrer patte blanche, laisser son passeport, signer des registres, prendre plusieurs ascenseurs, arpenter d’interminables couloirs, patienter dans des sas de sécurité, faire des sourires, encore patienter dans des salons…
Une fois la porte du bureau ouverte, ce qui me surprend à chaque fois, c’est le plus souvent cette vue incroyable sur la ville, avec une lumière parfaite. En effet ces bureaux d’achats sont placés en général dans les meilleurs endroits des buildings, où l’exposition à la lumière extérieure est calculée pour mettre au mieux en valeur les gemmes exposées. D’ailleurs, dans ces bureaux on trouve généralement une pièce pour la vente, où la lumière est favorable aux pierres, et une pièce pour l’achat, orientée différemment pour mettre en relief les défauts que le marchand ne verrait pas au premier coup d’œil si la lumière était parfaite !
vue du Silom District Vue depuis la Gem Tower
“Ces entretiens sont des exercices relationnels parfois périlleux, surtout lorsqu’il s’agit des plus importants marchands de la planète, qui vous font parfois ressentir que le fait de vous recevoir et de vous vendre une pierre est une faveur qui vous est faite.”
Mathieu
Une désagréable expérience
Les premiers jours, tout se passe à peu près normalement. Les bureaux sont ouverts, même si je sens que l’activité est peut-être un peu réduite par rapport à d’habitude. Le soir, après ma journée de travail, j’arpente les rues moites de la ville, retrouvant des amis très chers qui vivent ici. Nous effectuons notre tournée rituelle de nos lieux d’étudiants, lorsque nous étions en formation au GIA. Le charme opère une fois de plus.
Marché de nuit Quartier Chinois
Un jour pourtant, tout bascule. J’ai un rendez-vous pris de longue date avec un très grand marchand que je visite régulièrement. Pourtant ce jour-là, rien ne se passera comme avant. Je ne passerai que quelques minutes dans le bureau, car ma nationalité française me fera expulser pour crainte de contamination par le covid… J’ai pu apercevoir la panique dans les yeux de mes interlocuteurs lorsqu’ils ont compris que j’arrivais de France, et l’entretien a tourné court. A cette époque, en mars 2020, nous étions nous les européens considérés comme les grands propagateurs du virus, du moins aux yeux des thaïs !
A mon retour dans mon appartement, un message de ma logeuse me signifie que je vais devoir partir plus tôt pour procéder à un bionettoyage intensif par une équipe spécialisée. Bon, ça se corse… je commence à me sentir un brin stigmatisé !
Complexe retour au bercail depuis Bangkok
Il fallait un troisième signal : la fermeture des bars et des restaurants ! Là c’en est trop, il faut que je rentre. Un passage au bureau Air France : je trouve porte close. Le serveur téléphonique ne répond pas non plus. Je commence à recevoir diverses notifications m’informant de l’annulation de mes vols. Bref, je ne fais plus le malin du tout.
Je vais finalement passer plusieurs heures au téléphone en pleine nuit, décalage horaire oblige, pour joindre la plateforme de réservation en France. 48h plus tard, je décroche un billet sur un des derniers avions disponibles pour Paris, et je m’envole à la hâte retrouver une France confinée, hébété de passer d’une mégapole grouillante à un Paris totalement désert.
Le bilan de mon voyage est néanmoins positif, car j’ai ramené avec moi de très belles gemmes. Mais je me sens triste car j’ai laissé des amis chers derrière moi… qui sait quand je pourrai de nouveau me rendre à Bangkok.… la suite dans un prochain épisode du blog !
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